6 janvier 2021

Après PSA et Lafarge « absorbés » par des concurrents européens grâce aux droits de vote double, quelle sera la prochaine société française à être localisée ailleurs qu’en France ?

L’Assemblée générale de PSA s’est tenue lundi 4 Janvier 2021 pour valider la fusion de PSA avec FCA ; ce dernier absorbe PSA qui apporte ses actifs à FCA, rebaptisé à cette occasion Stellantis, société domiciliée aux Pays Bas. Quarante minutes d’Assemblée générale à huit clos pour un vote déjà connu par les dirigeants de PSA, du jamais vu pour une fusion !

Il faut dire que trois actionnaires « de référence » (famille Peugeot, BPI France et Dongfeng), représentant 58 % des droits de vote grâce aux droits de vote double, avaient signé l’accord de fusion en décembre 2019, puis en septembre 2020. Compte tenu d’un quorum de 78,2 % de participants au vote, ces trois actionnaires avaient déjà plus de 70% des voix de l’Assemblée Générale Extraordinaire, un minimum de 66% étant nécessaire pour valider l’opération de fusion. Autant dire que l’opération était « bouclée » et que la plupart des actionnaires (qui ont voté favorablement à plus de 99% des voix) étaient conscients que les « jeux étaient faits »… Reste 22% des actionnaires qui ne se sont pas prononcés

Autant on peut comprendre la « rationalité » de l’opération présentée par Carlos Tavares – à savoir « la liberté de mouvement pour tous, sûre, économique et propre » qui nécessite de mobiliser plus d’investissements et de capacité financière en répartissant les risques sur un plan géographique et sur un portefeuille de 14 marques reconnues dans le monde, autant la question de la parité de fusion pose question. Les situations financières des deux groupes sont très différentes à la suite de la crise de 2020 et du coût très important nécessaire pour amener Chrysler aux USA à respecter les normes environnementales qui vont se durcir avec l’arrivée des démocrates au pouvoir. Mais ce qui nous interpelle le plus est la localisation du nouveau siège social aux Pays-Bas, où se trouve déjà celui de FCA (pour des questions de « neutralité »…). Le droit des actionnaires y est moindre qu’en France, ce qui amène de fait à une nouvelle gouvernance dans laquelle la France à terme sera moins représentée (même si la présence au Conseil de BPI France, « bras armé » du gouvernement française, peut rassurer) avec un Conseil de surveillance qui aura logiquement à cœur de représenter l’ensemble des parties prenantes comme le stipule la législation néerlandaise.

Parmi les enjeux importants qui attendent la nouvelle équipe, la question sociale sera au cœur de la fusion et de la mise en œuvre des synergies attendues (5 milliards € par an), que ce soit la généralisation du télétravail pour les salariés du siège (que faire de deux salariés pour le même poste ?) ou pour ceux dans les usines (alors que les italiennes tournent à 60% de leur capacité). FCA ayant bénéficié d’un prêt de l’Etat italien de 6 milliards € en 2020, les salariés français ne risquent-ils pas de devenir la « variable d’ajustement », PSA n’ayant rien demandé à l’Etat français ?

Il y a aussi les enjeux environnementaux, PSA étant le « plus avancé » en Europe pour faire évoluer sa production vers le « tout électrique », alors que Chrysler aux USA doit acheter des crédits carbone à Tesla pour respecter la norme US. Mais qui croira que les moteurs PSA et la technologie du constructeur français pourront facilement répondre aux enjeux de Chrysler aux USA et notamment pour JEEP qui est sa marque la plus emblématique ? Les équipes de PSA y arriveront certainement, mais quel en sera le coût et le prix ?

Plus fondamentalement cette fusion interpelle quant à la capacité des entreprises françaises à garder leur siège social en France, posant aussi la question du manque crucial d’actionnaires français de long terme…

Pour PSA comme pour Lafarge, deux ou trois actionnaires décident de l’avenir d’une société alors même qu’ils sont minoritaires, mais, grâce aux droits de vote double dont ils disposent, ils savent déjà qu’ils auront quasiment les 66% nécessaires pour voter une telle fusion. Après plusieurs années, il n’y n’aura quasiment plus de dirigeant français à la tête du groupe, alors même que l’opération aura été présentée comme « une fusion entre égaux ». La famille Agnelli est le principal actionnaire de Stellantis ; un dirigeant américain reste un « passage obligé » pour le groupe aux USA. La probabilité que les dirigeants soient français à l’avenir est donc très faible…Le nouveau directoire sera probablement international pour respecter les nouvelles géographies du groupe et du capital. L’effet « pervers » des droits de vote double existe ; ce mécanisme était né d’une bonne intention mais il peut se révéler contraire à l’esprit recherché.

Voilà comment en quelques années deux de nos plus belles sociétés n’ont plus leur siège social en France. Plusieurs entreprises du CAC40 y sont encore présentes, mais pour combien de temps encore ? Avec une direction générale « hors de France » comme Schneider Electric (où les principaux dirigeants sont domiciliés à Hong Kong pour « respecter la géographie du groupe ») ? Ou EssilorLuxottica, dont le principal actionnaire et le CEO sont désormais domiciliés au Luxembourg et en Italie à la suite d’une fusion dite entre égaux qui n’était qu’une prise de contrôle sans en payer le prix ?

Toutes ces entreprises ont en commun des dirigeants « internationaux » qui ont des rémunérations qui explosent avec la fusion et leur domiciliation dans des pays faiblement fiscalisés. La question de leur attachement à la France n’a plus de raison d’être compte tenu de l’internationalisation de leur activité. Pourtant de nombreuses entreprises américaines, européennes voir françaises ont su garder leur siège social et leur gouvernance dans leur pays d’origine, ce qui leur permet de conserver une réelle force de frappe entrepreneuriale ou industrielle en s’appuyant sur leur culture d’origine.

Cette question va devenir d’autant plus fondamentale qu’aux Etats-Unis et en Chine le nationalisme économique semble redevenir la norme. Et qu’en Europe, l’Allemagne, par sa culture d’entreprise, et les Pay-Bas grâce aux avantages fiscaux, ont bien compris cette nécessité d’attirer les sièges sociaux et leurs équipes de dirigeants.

Cela pose la question du développement d’actionnaires individuels et institutionnels (caisses de retraite, fonds de pension…) en France, qui manquent cruellement aujourd’hui (plus de 60% des actionnaires du CAC40 sont étrangers). La réforme des retraites longtemps repoussée, mais nécessaire est une occasion inespérée de mettre en place pour le secteur privé un système par capitalisation, à côté du système de répartition, comme c’est le cas en Suisse. Il existe déjà dans le secteur public avec l’ERAFP (Etablissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique). Pourquoi ne pas l’étendre au secteur privé, pendant que le secteur public adopterait un système « à points » aujourd’hui en place dans le secteur privé ? Cela aurait le mérite de rapprocher ces deux systèmes en prenant « le meilleur de chacun » et de créer des fonds de pension qui investiraient principalement dans les entreprises françaises afin de développer l’emploi.

Olivier de Guerre

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