14 avril 2021

Lafarge-Essilor, La grande réussite des fusions entre égaux !

Le groupe Lafarge-Holcim présente à son Assemblée Générale le changement de nom en supprimant de sa dénomination toute référence au nom Lafarge. Nous ne pouvons que constater malheureusement que notre questionnement lors de la « fusion entre égaux » annoncée en 2014 n’était en fait qu’une prise de contrôle rampante déguisée, sans payer de prime… Cela parce que deux actionnaires présents au Conseil détenaient près de 50% des droits de vote au capital de Lafarge grâce aux droits de vote double… l’un d’entre eux, le groupe Bruxelles Lambert, souhaitant céder sa participation.

Le PDG a accepté cette fusion, non présentée au vote des actionnaires en Assemblée Générale bien que Lafarge ait une avance reconnue dans les techniques en béton (qui avait amené à garder les centres de recherche à Grenoble), que la complémentarité « mondiale » n’ait été qu’un « leurre » compte tenu de la difficulté de dupliquer des usines de ciment, et que l’intérêt à une telle fusion ne semblait pas évident . Il aura fallu les évènements en Syrie pour déstabiliser la direction générale de Lafarge. Bruno Lafont, ex-PDG de Lafarge Groupe a été relégué à un poste de Vice-Président suite à une révision des parités qui a entraîné à une prise de contrôle par Holcim, avant que celui-ci ne quitte le groupe. La triste fin d’une des entreprises les plus connues en France, qui avait réussi à s’imposer mondialement tout en ayant un « management social » reconnu par tous.

L’Assemblée Générale 2021 d’Essilor-Luxottica devrait élire un nouveau Conseil d’Administration contrôlé par les actionnaires italiens, le groupe Delfin détenant  32% du capital et 32% des droits de vote. La démission inattendue d’Hubert Sagnières de ses fonctions opérationnelles fin 2020 illustre cette prise de contrôle. Ce dernier, ex-PDG d’Essilor, et Vice PDG délégué d’EssilorLuxottica est désormais Vice-Président non exécutif du groupe. Or, depuis le rapprochement des deux groupes, il nous avait annoncé un mariage équitable avec des équipes de direction complémentaires. Cela acte malheureusement une fois encore que cette « fusion entre égaux » n’était qu’un « leurre » avec des fonctions de Président et de Directeur Général dédoublées pour « équilibrer » les parties.

Plusieurs éléments auraient pu interpeller les actionnaires d’Essilor à l’époque. Delfin (détenue par le Président de Luxottica, Leonardo Del Vecchio) est aujourd’hui le principal actionnaire du groupe, Essilor est sur un métier industriel complémentaire mais très différent de la politique de marques de Luxottica, et la société est née de la scission avec Lissac qui produisait des lunettes, scission qui a eu lieu car leurs métiers étaient très différent. De plus, le management de Luxottica très familial était aux antipodes de celui d’Essilor, très « américanisé » (Hubert Sagnières ayant effectué la majorité de sa carrière pour Essilor aux USA). Tout cela n’a pas empêché les actionnaires d’Essilor de voter cette fusion à plus de 95 % … Par un parallélisme incroyable, les évènements de fraude en Thaïlande ont permis au clan italien attaqué en justice l’année précédente par Essilor (ce qui nous avait amené à proposer la nomination d’administrateurs indépendants) de prendre le contrôle en nommant Francesco Milleri, Directeur Général. Il s’agit d’un italien proche du Président, qui est aussi le principal actionnaire et non un Dirigeant externe indépendant des parties… comme annoncé précédemment.

Combien d’années faudra-t-il pour que la société cotée française retire la marque Essilor de sa dénomination et transfère son siège social au Luxembourg ou aux Pays-Bas ? L’arrivée inattendue de la BPI ou plutôt de son fonds « Blue Lake » au capital et la nomination d’un administrateur les représentant retardera probablement cette échéance, mais pour combien de temps ? Il s’agit là aussi d’une autre entreprise française qui se développait avec agilité sans un besoin immédiat de fusionner avec un concurrent et qui a été rachetée sans payer de prime d’acquisition…

Il paraît que l’histoire ne se répète jamais… mais ces deux exemples sont symptomatiques d’un capitalisme français qui se développe sans une base forte d’actionnaires français capable de rappeler aux dirigeants que la fable de la grenouille de La Fontaine est toujours d’actualité…

Sans fonds de retraite / pension, ni actionnariat familial fort, l’histoire se répètera encore et encore. Et d’ailleurs, ne rappelle-t-elle pas une fusion toute récente entre égaux dans le monde automobile, la nouvelle société étant domiciliée aux Pays-Bas avec une gouvernance aujourd’hui « équilibrée »  et la BPI et son fonds « Blue Lake »  comme arbitre ?

Olivier de Guerre

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